Drogue et émigration clandestine : l’anarchie organisée

17 décembre 2003 - 18h07 - Maroc - Ecrit par :

Les Marocains sont un peuple extrêmement surveillé. Le territoire est quadrillé par des dizaines de milliers de moqaddems, dont les zones de compétence respectives sont suffisamment réduites pour qu’ils en connaissent les habitants, quasiment un par un. Non seulement ils les connaissent, mais ils savent où ils habitent, ce qu’ils font de leurs journées, où ils vont, qui ils rencontrent, etc. Les khelifas et les caïds, eux, connaissent personnellement tous les "pontes" de leurs circonscriptions.

Et disposent des moqaddems, leurs subordonnés directs, pour compléter leur information le cas échéant. Cela vaut pour tout le Maroc, et le Nord ne fait évidemment pas exception. Ajoutons au réseau du ministère de l’Intérieur la présence massive, dans le Nord, de l’armée, de la gendarmerie et, sur les côtes, de la douane et de la marine. Est-il pensable, logiquement, que des trafics aussi gros que la drogue, la contrebande ou l’émigration clandestine échappent à la sagacité de tous ces gens ? La réponse est évidente : non, pas une seconde.

Examinons une tranche précise de notre littoral méditerranéen, celle comprise entre Tanger et Tétouan. Elle fait environ 100 km, et c’est de là que la distance entre le Maroc et l’Espagne est la plus courte (14 km). Si vous faites le trajet en voiture sur la route côtière, vous remarquerez qu’il y a une guérite de l’armée à chaque kilomètre. Autrement dit, à aucun moment, vous, conducteur, n’aurez moins, par temps dégagé, de deux de ces guérites dans votre champ de vision. Celles-ci sont, de surcroît, haut perchées, surplombant l’accès à la mer. Il suffirait de deux gros projecteurs par guérite pour illuminer toute la côte, de nuit. De jour, la visibilité est optimale. C’est pourtant de là que partent les pateras et une bonne partie des vedettes transportant de la drogue et/ou diverses marchandises frauduleuses. Sans parler des petits ports privés, des hangars servant à entreposer la marchandise interdite, etc.

Avec des agents d’autorité qui pullulent partout, il est impensable que tous ces trafics puissent s’épanouir sans une très large complicité, chez tous les corps d’État confondus.

Exposées à un Tétouanais, ces géniales déductions de Casablancais attirent, au mieux, un sourire indulgent. Faut-il que nous soyons sur une autre planète, nous autres du Dakhil, pour ne pas avoir compris ça, depuis 30 ans que ça dure ?… La corruption est tellement générale et transversale, nous dit-on, qu’à un certain point, on ne sait plus qui organise le trafic, des trafiquants ou de ceux qui les protègent…

En ce moment (ça nous arrive cycliquement) nous sommes en plein assainissement. Le procès de 28 hauts fonctionnaires accusés de complicité avec 2 gros trafiquants vient de s’ouvrir à Rabat. Sans doute la partie visible de l’iceberg, mais bon… Ne soyons pas nihilistes, il faut bien commencer quelque part. Ce procès, le ministre de la Justice l’a assez fait comprendre, se veut exemplaire. Entendez : en frappant fort les réseaux mafieux des agents d’autorité, nous allons faire un exemple. Très bien. Mais ce n’est pas suffisant : il faut aussi que le procès, dans la forme comme dans le fond, soit inattaquable. Que la culpabilité des prévenus soit infailliblement prouvée, et que tombent alors les peines les plus sévères possibles. Nous applaudirons sans réserve.

Hélas, ce n’est pas la tournure que prennent les événements. D’abord, le dossier échoue à la Cour spéciale de justice, avec sa batterie de mesures d’exception et sa confusion génétique entre pouvoirs exécutif et judiciaire. C’est un très mauvais départ. La CSJ était en voie de dissolution, pourquoi a-t-il fallu lui confier ce procès-là ? Ensuite, l’instruction des dossiers s’annonce d’ores et déjà catastrophique.

Le volumineux rapport d’instruction aligne, sur plus de 200 pages, des accusations dantesques et des sommes faramineuses. Sauf que tout cela se base, à première vue, sur des accusations verbales. De preuves tangibles, aucune, pour l’instant.

Que ces 28 accusés-là soient coupables, on n’en sait rien. Mais qu’ils soient condamnés sans preuves réelles (ce vers quoi on semble s’acheminer, sauf surprise) serait une double catastrophe. D’abord pour les intéressés, mais surtout parce qu’au final, l’État aura, par un de ces procès aberrants dont il a le secret… érigé une corporation mafieuse en martyre ! "L’exemple" aura alors tourné au contre-exemple. Et nous aurons, à nouveau, raté une belle occasion "d’assainir" durablement, et de manière crédible. En supposant que cela ait été le but initial…

TelQuel

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Immigration clandestine - Drogues - Corruption - Douane marocaine

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : des élus communaux corrompus révoqués

Le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit part en croisade contre la corruption au sein des collectivités territoriales. Il a instruit les walis et gouverneurs à l’effet de révoquer les présidents de communes qui sont en situation de conflits...

Douane : que se passe-t-il si le MRE ne peut exporter sa voiture ?

Il peut arriver, dans certains cas d’un ennui de santé ou d’une urgence quelconque, que le Marocain résidant à l’extérieur (MRE) ne puisse pas, par lui-même, réexporter son véhicule, c’est à dire le reconduire hors du Maroc. La douane marocaine a prévu...

Retour définitif des MRE au Maroc : ce que dit la douane

Selon les dernières régulations édictées par la douane marocaine, les Marocains résidant à l’étranger qui prévoient de rentrer définitivement au Maroc doivent se conformer à certaines règles concernant l’importation de biens.

Les Marocains parmi les plus expulsés d’Europe

Quelque 431 000 migrants, dont 31 000 Marocains, ont été expulsés du territoire de l’Union européenne (UE) en 2022, selon un récent rapport d’Eurostat intitulé « Migration et asile en Europe 2023 ».

"Lbouffa" : La cocaïne des pauvres qui inquiète le Maroc

Une nouvelle drogue appelée « Lbouffa » ou « cocaïne des pauvres », détruit les jeunes marocains en silence. Inquiétés par sa propagation rapide, les parents et acteurs de la société civile alertent sur les effets néfastes de cette drogue sur la santé...

Voici le guide fiscal 2023 des MRE (douane)

La Direction Générale des Impôts (DGI) vient de dévoiler son guide fiscal pour l’année 2023 à destination des Marocains résidant à l’étranger (MRE).

Douane marocaine : voici le guide des MRE 2023 (à télécharger)

L’Administration des Douanes et impôts indirects a récemment dévoilé son nouveau guide dédié aux Marocains résidant à l’étranger.

Soupçons de corruption par le Maroc au Parlement européen

Le scandale de corruption qui secoue le Parlement européen continue de livrer ses secrets. Le Maroc est, lui, aussi soupçonné d’avoir sollicité des eurodéputés pour qu’ils interviennent en sa faveur notamment sur la question du Sahara.

Maroc : les tribunaux submergés après la levée des mesures restrictives

Depuis que l’amélioration de la situation épidémiologique au Maroc a entraîné l’assouplissement des mesures restrictives, la vie a repris dans les tribunaux avec une hausse considérable du nombre de plaintes, procès et affaires pénales.

Parlement européen : le Maroc aurait offert des séjours à la Mamounia

La députée socialiste Marie Arena et l’ex-eurodéputé italien Antonio Panzeri, visés dans le scandale au parlement européen, auraient bénéficié en 2015 d’un séjour de luxe à l’hôtel La Mamounia de Marrakech, tous frais payés par les autorités marocaines.