Le voile islamique à la porte de l’entreprise

4 décembre 2002 - 12h21 - Maroc - Ecrit par :

Quand elle fait du ski ou de l’équitation, Dallila Tahri, 30 ans, porte le voile. Elle le garde quand elle travaille. Elle ne le quitte plus depuis huit ans. Le 15 juillet, elle a été licenciée pour ce long bout de tissu à forte valeur symbolique. Hier, elle poursuivait son employeur, la société Téléperformance, spécialisée dans le marketing téléphonique, devant les prud’hommes de Paris.

Téléenquêtrice, Dallila Tahri a été recrutée en intérim en janvier 2001 avec le hidjab (voile islamique), tel qu’elle l’arborait hier à l’audience : fins tissus blanc et blanc cassé superposés jusqu’à couvrir le front, les oreilles et le cou. Sans essuyer de reproches ni de réflexions, elle a effectué quelques missions, avant d’être embauchée définitivement en juillet 2001. Elle travaillait par téléphone, avec peu ou pas de contact avec la clientèle, dans une antenne de la société située dans le XIIIe arrondissement parisien. Mais à la fermeture de ce site, en juin dernier, elle a été mutée au siège social de l’entreprise. Les ennuis ont commencé. La manière dont elle porte le voile gênait la direction, qui lui a demandé de le nouer façon turban, afin de dégager le cou, les oreilles et le front. Dallila Tahri a refusé le compromis, elle a été licenciée sur-le-champ.

« Volonté propre ». Devant les prud’hommes, la jeune femme, long corps recroquevillé par la timidité, ne demande ni indemnités ni dédommagement. Elle veut simplement être réintégrée dans l’entreprise. « Je ne suis pas fondamentaliste, dit-elle. Je ne demande pas aux autres de me suivre dans ma foi. Je veux seulement qu’on m’accepte telle que je suis. » Cette détermination rappelle le discours des premières élèves qui, au début des années 90, réclamaient le droit de porter le foulard à l’école (lire Jurisprudence et médiation, cas d’école efficaces). Une dizaine d’années plus tard, ces jeunes filles, devenues jeunes femmes, se présentent sur le marché du travail avec la même exigence.

Même si elle est de nationalité algérienne, Dallila se dit de culture française. Elle est arrivée en France à l’âge de 3 mois, a fait toute sa scolarité sur le sol français, passant même par un établissement catholique, « ses parents rêvant du mieux pour elle », précise son avocat. C’est seulement à 22 ans qu’elle décide de porter le voile. « C’est ma volonté propre, fondée sur mes lectures. Mes parents étaient étonnés. Je ne suis soumise à personne, seulement à Dieu. » Selon elle, le voile ne va pas à l’encontre de l’émancipation des femmes : « Elles doivent travailler et voter. »

« Dallila Tahri n’a jamais caché son orientation islamique, a plaidé son avocat, Me Thiénot Grumbach. Dès l’embauche, elle s’est présentée avec ce foulard. La société ne pouvait l’ignorer. » Pour lui, ce licenciement repose sur une discrimination liée à des convictions religieuses qui relèvent de la sphère privée, ce que condamne le code du travail (L122-45). L’avocat, qui s’est présenté comme un « défenseur de la laïcité » - notion qui implique le respect des convictions des autres -, a tracé une distinction nette entre l’école, espace public façonné par le principe républicain de laïcité, et l’entreprise, espace privé, où la liberté individuelle du salarié doit être respectée dans une limite négociée collectivement. « Je ne suis pas hostile à une réglementation, a soutenu Me Grumbach. Mais elle doit être élaborée avec les partenaires sociaux. A ce moment-là, Dallila devrait s’y conformer. »

L’avocate de l’employeur a rejeté ce point de vue. Devant les prud’hommes, Me Vanessa Lehmann a rappelé que son client, Téléperformance, était attaché au principe de « neutralité ». Un principe que ne peuvent qu’entacher des « affichages de prosélytisme passif », tel un salarié habillé en skinhead ou un foulard islamique noué d’une certaine manière. « Il y a diverses interprétations de la religion musulmane, a remarqué l’avocate. Celle de Dallila Tahri est pure et fondamentale. » S’appuyant sur la jurisprudence, Me Lehmann estime que « l’employeur est le seul juge de l’image qu’il veut donner. Cela peut passer par la négociation collective, mais ce n’est pas une obligation ».

Ramadan. Au nom de cette neutralité, la direction de Téléperformance a estimé que le foulard de Dallila Tahri au sein du siège social, où le passage de clients est important, pouvait froisser d’autres convictions religieuses et personnelles. Avec plus de 400 salariés de nationalité étrangère sur 4 000 personnes, l’avocate a démenti le « racisme antimusulman » dont Téléperformance pourrait être accusé. « C’est une entreprise Benetton, a-t-elle affirmé. Le télémarketing est un domaine où l’on n’est pas raciste. Nous avons adapté les plannings durant le ramadan. » Elle a rappelé qu’il n’a jamais été demandé à Dallila Tahri d’enlever son voile, mais seulement de le remonter sur sa tête, ce que d’autres salariées ont fait. « Au nom de mes convictions religieuses, je ne le peux pas », réplique la jeune fille.

« Ouverture ». Même si les affaires de voile restent encore rares en milieu professionnel, elles traduisent la volonté de jeunes femmes qui souvent ont fait des études - Dallila Tahri possède un BTS d’action commerciale - de lier certains principes hérités de la société française contemporaine, comme le droit de travailler, et foi religieuse. « J’ai eu la chance d’avoir des parents ouverts qui m’ont appris l’égalité entre les hommes et les femmes. J’ai toujours plein de copains qui viennent à la maison. En travaillant, je retrouve la même ouverture. » Dans l’après-11 septembre, son avocat craint que l’amalgame souvent fait entre islam et terrorisme puisse priver des jeunes, avec foulard ou barbe, du droit fondamental de travailler.

Les prud’hommes se prononceront le 17 décembre.

Source : Libération France

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Religion - Emploi - Femme marocaine

Aller plus loin

France : un Sénateur veut supprimer les aides aux femmes avec un voile intégral

Bruno Retailleau, Président du Groupe, "Les Républicains", au Sénat, a proposé des sanctions à l’encontre des femmes qui portent le voile intégral, « en cas de récidive ».

Ces articles devraient vous intéresser :

Ramadan 2024 au Maroc : voici le montant de la Zakat

Le Conseil supérieur des Oulémas a fixé, il y a quelques jours, le montant minimum de la Zakat Al Fitr au titre de l’année 2024/1445.

Aïd al Adha au Maroc : l’appel à l’annulation monte sur les réseaux sociaux

Alors que certains Marocains appellent à l’annulation de la célébration de l’Aïd al-Adha sur les réseaux sociaux, d’autres tiennent au respect de cette tradition religieuse.

Voici le nombre de fonctionnaires civils au Maroc

Les données inscrites dans le rapport sur les ressources humaines accompagnant le projet de loi de finances (PLF) de l’année 2023 indiquent que le Maroc compte 565 429 fonctionnaires civils cette année.

L’actrice Malika El Omari en maison de retraite ?

Malika El Omari n’a pas été placée dans une maison de retraite, a affirmé une source proche de l’actrice marocaine, démentant les rumeurs qui ont circulé récemment sur les réseaux sociaux à son sujet.

Combien de Marocains ont émigré à l’étranger cette année ?

À fin septembre dernier, plus de 26 000 Marocains ont émigré à l’étranger pour s’y installer et travailler, d’après le ministère chargé de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences.

Aïd El Fitr en France : annonce importante de la Mosquée de Paris

Les fédérations musulmanes de France se réuniront ce jeudi 20 avril 2023 à 18 heures à la Grande Mosquée de Paris en présence de leur commission religieuse ainsi que des imams du Conseil National des Imams (CNI). Cette réunion a pour objectif de fixer...

Quand débute le ramadan au Maroc ?

La date de début du ramadan au Maroc est désormais connue. Le Centre international d’astronomie vient de faire ses prédictions.

Gad Elmaleh évoque « le modèle marocain de fraternité judéo-musulmane »

À l’occasion de la sortie de son film « Reste un peu » qui sort le 16 novembre, l’humoriste marocain Gad Elmaleh revient sur la richesse spirituelle du Maroc, « une terre de fraternité judéo-musulmane » dont le modèle n’existe « nulle part ailleurs ».

Début de Ramadan au Maroc : décision ce mercredi

Alors que la majorité des pays musulmans débutent officiellement le ramadan ce jeudi 23 mars 2023, les Marocains, eux, devront attendre ce soir la décision du ministère des Habous et des Affaires islamiques.

Le ramadan débutera jeudi en France

Le ramadan débutera officiellement le jeudi 23 mars en France, annonce le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz.