Le Maroc doit faire droit aux revendications réformatrices du peuple

23 février 2011 - 09h39 - Maroc - Ecrit par : L.A

Dimanche 20 février, le Maroc s’est joint pour la première fois à la vague de changement qui est en train de balayer le monde arabe. Dans plusieurs grandes villes du pays, des dizaines de milliers de Marocains ont manifesté pour les mêmes revendications qui s’expriment ailleurs : remplacer l’exercice arbitraire et absolu du pouvoir par une démocratie véritable et ouverte, mettre un terme à la corruption et au clientélisme qui étouffent la vie économique, affirmer le droit des citoyens à être traités avec dignité et respect et à pouvoir mener, eux et leurs familles, une vie décente.

Comme ailleurs, les manifestations au Maroc nous ont également fait découvrir un mouvement d’un nouveau genre regroupant jeunes sans avenir, travailleurs appauvris, islamistes, dissidents politiques traditionnels, groupes de défense des droits de l’homme et autres en une sorte de mouvement "sans dirigeant" et sans agenda idéologique précis. A la différence d’autres mouvements, les manifestations marocaines avaient pour premier objectif la réforme, et non le renversement du régime ; elles n’ont pas directement attaqué le roi ni la monarchie et - ce qui les maintiendra probablement dans cette voie - n’ont pas été brutalement réprimées.

Le régime pourrait choisir d’ignorer ce qu’elles signifient - le mouvement, après tout, ne s’est pas cristallisé comme ailleurs dans l’occupation d’une grande place centrale. Il serait toutefois préférable que chacun comprenne ce qu’elles expriment - l’existence manifeste d’un vaste et persistant mécontentement dans de larges couches de la population. Nous n’avons pour l’instant assisté qu’au début du processus par lequel ce mécontentement va s’exprimer et trouver son expression politique. Il est impossible de prévoir comment les choses vont se développer dans les jours et les semaines qui viennent. Tout dépendra de la façon dont les différentes forces en présence vont réagir et interagir dans le processus en cours. Il est cependant peu probable, dans le contexte actuel, que les expressions de ce mécontentement disparaissent d’elles-mêmes.

Le fait qu’il n’y ait pas eu effusion de sang a généré une curieuse incertitude des deux côtés, une sorte de situation de "double contrainte" qui paraît favorable aux deux parties. Pour le mouvement, l’absence de confrontation violente et de revendications radicales contribue à légitimer la protestation et pourrait inciter d’autres Marocains à la soutenir ou à s’y engager ; mais cela pourrait être perçu comme un signe de faiblesse.

Pour le régime, avoir évité une répression brutale est tout à son honneur, mais pourrait également dynamiser le mouvement et contribuer à l’amplifier. Aucune des deux parties ne devrait sous-estimer la complexité du pas de deux dans lequel elles sont désormais engagées. Pour le régime notamment, réagir avec suffisance et condescendance - c’est-à-dire considérer ce mouvement comme quelque chose pouvant être soit ignoré soit neutralisé par les méthodes habituelles - serait un pari extrêmement risqué.

Il serait beaucoup plus productif, et plus intelligent, de tenir compte du message délivré par ce mouvement - message qui, pour l’instant, n’est rien d’autre qu’un désir de renouer avec l’esprit nouveau qui a soufflé il y a douze ans, au début du règne de Mohammed VI, afin de reprendre un processus prometteur dont beaucoup ont l’impression qu’il a été brutalement interrompu et remplacé par une nouvelle mouture décevante du business as usual.

Avec l’Instance équité et réconciliation s’ouvrait la promesse d’une nouvelle ère de justice et de responsabilité, et au lieu de cela nous avons connu, après les attentats du 16 mai 2003 (à Casablanca), de nouvelles vagues d’arrestations, l’instrumentalisation de la peur de l’islamisme, la torture et les traitements dégradants des suspects de terrorisme. Nous avions inauguré une nouvelle ère de liberté de la presse et en sommes arrivés à une situation de censure et de harcèlement judiciaire qui a provoqué la disparition d’une bonne partie de la presse indépendante, réduit au silence ou contraint à l’exil beaucoup de ses voix les plus fortes.

On nous avait promis la transparence économique et nous sommes retombés dans une situation de prédation économique menée par des groupes de pression et des intérêts privés au nom de la monarchie. Nous avons commencé avec l’alternance, accueillant partis d’opposition et dissidents politiques dans une ère nouvelle de démocratie ouverte, et étions revenus grâce à des arrangements techniques à une certaine normalité politique, mais celle-ci a aussitôt été mise à mal par des commissions ad hoc. Le dernier en date de ces "nouveaux" stratagèmes politiques est un parti résolument royaliste qui pourrait à court terme accroître le pouvoir de la monarchie, mais qui, en l’impliquant toujours plus dans l’arène des querelles politiques au jour le jour, sape lui-même la légitimité que tous lui reconnaissaient encore récemment.

Bref, beaucoup ont le sentiment que les espoirs et les promesses, l’esprit même du nouveau règne ont été abandonnés. Cela est dû au fait que ces espoirs et promesses n’ont pas été inscrits dans un processus participatif de constitutionnalisation et d’institutionnalisation qui eût été la seule façon de les rendre permanents et irréversibles. Au lieu de cela, ils ont été, une fois encore, laissés à la discrétion du pouvoir. La monarchie ne s’est pas engagée dans un nouveau contrat viable avec le peuple.

Ce que le mouvement du 20 février nous enseigne est que ces espoirs et promesses - ces droits - ne peuvent plus se contenter d’être de nature discrétionnaire. Nous devons les reprendre à notre compte et initier rapidement un processus dont le peuple pourra constater qu’il les inscrit dans la loi et les rend irrévocables. Nous devons, en d’autres termes, revivifier et refondre l’esprit du nouveau règne avec une urgence nouvelle - parce que de nouveaux acteurs ont fait leur entrée sur la scène politique et qu’ils n’ont pas l’intention de la quitter.

Notre pays s’est vu adresser un avertissement : le changement doit s’opérer et il s’opèrera, mais il ne sera plus instauré du sommet vers le bas. Le commandant de bord a désormais un copilote, le peuple marocain, et celui-ci ne s’endormira pas aux commandes.

Hicham Ben Abdallah El-Alaoui, cousin du roi du Maroc, chercheur à l’université Stanford (traduit de l’anglais par Gilles Berton) - Journal Le Monde

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