Le spectacle de Benkirane

7 juin 2012 - 10h46 - Maroc - Ecrit par :

Pour la première fois à ma connaissance, un chef du gouvernement fait appel aux chaînes publiques et au direct pour s’expliquer sur sa politique et les décisions prises par son gouvernement. Le catalyseur de cette initiative étant la récente hausse des prix du carburant.

Il faudrait avouer que c’est une initiative à louer : que l’on soit partisan ou non du gouvernement et de ses décisions, on a attendu le rendez-vous avec impatience. Cela a revigoré l’intérêt du marocain à la chose politique. On recommence à discuter, à critiquer, à argumenter et à suivre les réactions du gouvernement et de l’opposition. Tant mieux, l’intérêt pour la politique a toujours été l’un des préceptes du civisme.

Venons-en au contenu. Un blâme est à adresser en premier lieu aux journalistes. Leur prestation était fade et ils ont été facilement dépassés par Benkirane. Les questions posées étaient rares, sans pertinence et annoncées avec une telle lassitude … À un certain moment, on commençait même à complimenter et à cajoler le chef du gouvernement ! C’était une tirade et non une émission politique.

Comme à l’accoutumée, on a retrouvé Benkirane avec son style incontestable. Après une vulgarisation de la caisse de la compensation et de ses mécanismes, le chef du gouvernement s’est mis dans une scène mythique à annoncer les prix des bananes, tomates et autres légumes au sein d’une région du pays. Cela sera suivi de quelques coups par-ci et par-là pour les journalistes et des spéculations sur l’avenir politique du Maroc. En résumé son discours est un mélange subtil de populisme, d’arguments crus et de cavalcades en dialecte marocain. Une fonte dont le résultat dépend de l’objectif auquel elle reste déployée …

Le contenu, c’est là où le bât blesse. Benkirane s’est mis encore une fois à chanter la chanson de l’exception marocaine, de printemps arabe avec la nouvelle constitution et de secours de la nation par le souverain. Le discours reflète une confiance « aveugle » dans la monarchie et sa volonté présumée de réforme. Attitude que l’Histoire du Maroc a montré erronée à toutes les occasions. Le deuxième point est un manque sévère de vision à long et à moyen terme. On est loin du discours politique basé sur des statistiques et des prévisions. Les seules statistiques présentées sont celles établies après une telle ou telle étude sur la situation actuelle. Aucun chiffre cité ne concerne une anticipation d’une décision envisagée.

Il est bon de compter sur la volonté divine, mais il est encore meilleur d’élaborer des plans, d’avoir des programmes bien rodés et de posséder une vision claire pour la durée de son mandat. Ce n’est pas seulement meilleur, c’est une nécessité quand on est le chef du gouvernement. Autre reproche : dans sa méthodologie, Benkirane ne s’attaque pas aux grands chantiers. Si l’on recherche des fonds pour la caisse de l’état, il est nécessaire de récolter les impôts et de réduire les dépenses de l’état. N’empêche que l’on oublie par cela les grands rentiers, les fonctionnaires-fantômes, la taxe sur la richesse délaissée … Durant ces temps de crise, parait-il normal à l’honorable chef du gouvernement que le budget alloué au palais et à son protocole reste si énorme que cela ? Parait-il normal à l’honorable chef du gouvernement que des hauts fonctionnaires puissent encore toucher des primes exorbitantes au détriment du contribuable marocain ?

Le discours des poches de résistances et de la progression dans le réformisme commence à s’épuiser. Si l’on doit mener une réforme, cette dernière devrait être globale et s’attaquer au fond et à la source du problème que sont les prérogatives de la monarchie, l’étendue du pouvoir du gouvernement et les bonne gens du makhzen. Rester à justifier des décisions prises au détriment des citoyens ne fera que perdre la crédibilité au PJD et le tournera en une risée devant le peuple. Le discours de Benkirane pourrait être utile, pourrait lui servir pour l’instant, pourrait avoir un effet soporifique et divertissant pour le marocain. Mais durant ce temps-là, n’oublions pas que nous aurons raté le printemps arabe et l’occasion de déclencher des réformes bien plus audacieuses qu’une réforme biaisée de la caisse de compensation.

Mahdi Zahraoui

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Télévision - Politique économique - Parti de la Justice et du Développement (PJD) - Caisse de compensation - Abdelilah Benkirane - Gouvernement marocain

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : Abdelali Hamieddine, ancien parlementaire, condamné pour meurtre

La Cour d’appel de Fès a rendu son verdict dans l’affaire de l’ex-parlementaire Abdelali Hamieddine, qui vient d’être condamné à une peine de 3 ans de prison ferme.

Maroc : la réforme du Code de la famille fait toujours jaser

La réforme du Code de la famille a du mal à passer au Maroc. Face aux conservateurs et chefs religieux, le gouvernement n’arrive pas encore à trouver la bonne formule pour mettre fin aux discriminations envers les femmes en matière de succession, à la...

Abdelilah Benkirane met en garde contre le capitalisme occidental

Le secrétaire général du Parti Justice et développement (PJD), Abdelilah Benkirane, a dénoncé le capitalisme occidental qui, à terme, nuira au peuple et à l’économie marocaine.

Le Maroc ne touche pas à la subvention du gaz, du sucre et du pain

Malgré la conjoncture internationale, le gouvernement marocain va maintenir les subventions pour garantir la stabilité des prix du gaz butane, du blé et du sucre sur le marché national en 2023.

Le Maroc veut faire payer les géants du Web

Le gouvernement marocain est préoccupé par la réglementation fiscale des géants du numérique. Dans ce sens, il propose de nouvelles obligations fiscales dans le cadre du projet de loi de Finances (PLF) de l’exercice 2024.

Tanger Med : Un recrutement qui fait polémique

Zineb Simou, la parlementaire du parti Rassemblement national des Indépendants (RNI), a interpellé le gouvernement d’Aziz Akhannouch sur un recrutement au port de Tanger Med jugé exclusif.

Maroc : suspension des droits à l’importation des bovins domestiques

Le gouvernement marocain a adopté mercredi dernier, un projet de décret portant sur la suppression des droits de douane sur les achats de bovins domestiques d’un poids minimal de 550 kg.

Une chaîne marocaine accusée d’offense au roi Mohammed VI

La chaîne de télévision d’information en continu marocaine, Medi 1 TV est sous le feu des critiques des Marocains qui l’accusent d’avoir offensé le roi Mohammed VI.

Les 10 ans du Marrakech du Rire en rediffusion sur W9

W9 passe en mode rediffusion ce jeudi à partir de 21h15, les 10 ans du Marrakech du Rire. Un programme de divertissement qui a le don de faire grimper l’audience des chaines de télévision.

Marocains, déclarez vos avoirs à l’étranger : les règles changent en 2024 !

Le gouvernement marocain a instauré dans le budget 2024 une contribution libératoire relative à la régularisation spontanée sur les avoirs et liquidités détenus à l’étranger de manière définitive. Que retenir ?