Barbe et bandana : les musulmans de France redoutent les « dérapages »

22 janvier 2004 - 11h51 - France - Ecrit par :

« On assiste à un raidissement des parlementaires et de l’opinion après les manifestations de rue des islamistes. » L’analyse, livrée hier au Figaro par Dalil Boubakeur, ne manque pas de pertinence. Au moins apporte-t-elle un peu de clarté dans un débat sur la laïcité qui sans cesse dérape, dévie, et vire à la confusion.

Comment est-on passé de l’interdiction de tous les signes religieux à l’école à la condamnation prioritaire du voile islamique, puis à la possible prohibition, évoquée par le ministre Luc Ferry, du bandana et de la barbe au lycée, selon que celui-ci est noué comme ci, et celle-là portée comme ça ? Personne ne sait vraiment. A Matignon, on hausse les épaules, gêné. Même embarras chez des parlementaires qui, dans dix jours, sont appelés à voter pour ou contre ces signes religieux que l’ont dit tantôt « visibles », tantôt « ostensibles » ou « ostentatoires »...

Dalil Boubakeur, à la tête de petites délégations de ce Conseil du culte musulman qu’il préside, poursuit sa tournée des chefs de parti et responsables de groupe parlementaire à l’Assemblée et au Sénat. « J’entends maintenant, dit-il, qu’il ne s’agit plus seulement d’interdire le voile mais également certaines tenues vestimentaires, avec de savantes exégèses expliquant que la tenue inclut la présentation, c’est-à-dire la barbe. » Le propos n’est pas ironique, mais désenchanté.

S’il n’avait prévu pareils développements, Dalil Boubakeur avait bien pressenti le danger. « J’avais appelé les musulmans à ne pas faire peur aux Français, aux bourgeois. En France, comme en Europe, comme dans le monde, le climat est défavorable à l’islam, et il faut être très prudent. » Le recteur de la Mosquée de Paris regrette encore les manifestations, notamment celle organisée à Paris par un responsable musulman taxé d’antisémitisme. « Se mettre derrière un leader sulfureux, quelle naïveté, quelle erreur grave ! Voilà, on le paye maintenant. » Soupir de Dalil Boubakeur, qui se garde bien de prédire l’avenir. « Je compte les points. A la radicalisation dans la rue des islamistes répond maintenant la radicalisation des parlementaires. Dans cette spirale, j’espère qu’il restera encore une place pour la discussion »...

Comme Dalil Boubakeur, qu’il a accompagné dans ses rencontres privées au Parlement, Mohamed Béchari dit « enregistrer les dérapages ». Président de la FNMF, la fédération du Conseil du culte musulman inspirée par le Maroc, Mohamed Béchari n’a pas la rondeur du recteur de la Mosquée de Paris. Il dénonce une « loi d’exception et d’exclusion », et assure que « la communauté musulmane est otage de la dualité au sein de l’UMP ». Peut-on vraiment percevoir, comme Mohamed Béchari, la lutte d’influence entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy dans le débat autour de la loi sur les signes religieux à l’école ? Les évolutions sémantiques des uns et des autres, à commencer par celles du ministre philosophe Luc Ferry, n’expriment-elles pas plutôt les doutes de la classe politique ?

Chaque jour charrie de nouvelles interrogations. Et rien n’est jamais définitivement tranché. Ainsi la question du bandana. En novembre dernier, Nicolas Sarkozy, lors de son face-à-face télévisuel avec le fondamentaliste musulman Tarik Ramadan, avait proposé de tolérer « un petit bandana », en échange de l’abandon du voile. Personne n’avait vraiment relevé. L’idée, faute d’avoir été validée ou rejetée, revient donc aujourd’hui.

A cette possible interdiction, Luc Ferry ajoute désormais celle du port de la barbe, qui pourrait également « tomber sous le coup de la loi ». Curieux objectif laïque. A moins qu’il ne s’agisse de la noble résolution d’un ministre de l’Éducation ne voulant plus compter à l’avenir d’élèves barbus, car trop âgés pour le lycée...

Le Figaro

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