Comment le Maroc contrôle l’islam de France

13 décembre 2004 - 08h02 - France - Ecrit par :

Un communautarisme latent, des pics de montées antisémites ou judéophobes ont décidé les autorités françaises à rendre lisible et maîtrisable l’Islam, la deuxième religion du pays. Dès 1999 en effet, une invitation à six grandes mosquées indépendantes, six fédérations culturelles et six personnalités musulmanes est lancée par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean Pierre Chevènement.

« Al Istichara », nom donné à cette instance de réflexion, démarrera de fait ses travaux. En mai 2001, un accord-cadre se dégage de ces mois de consultation, prévoyant entre autres un mode électif. Entre-temps, le ministre de l’Intérieur et des Cultes Chevènement démissionne Daniel Vaillant lui succède et prend en charge mollement le dossier. Après le 11 septembre et l’arrivée de Nicolas Sarkozy, la question de l’islam devient un enjeu considérable. Des banlieues ostracisées, au bord de l’explosion, des médias de plus en plus virulents quant à l’islam convaincront le nouveau ministre d’accélérer le processus d’installation d’un Conseil du culte musulman de France. La nécessité d’avoir un interlocuteur représentatif s’imposait. Des élections sont organisées les 6 et 13 avril 2003, remportées haut la main par la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), une constellation d’associations religieuses d’obédience marocaine (présidée par Mohamed Bechari, un ancien fonctionnaire marocain installé en France). Avec 18 sièges au conseil d’administration, soit près de 44% du total des 41 fauteuils, elle se taille la part du lion. L’UOIF, assimilée à une structure fondamentaliste, obtient 16 sièges ; la GMP (Grande mosquée de Paris), proche de l’Algérie, 5 sièges et 14, 6% des suffrages. Le comité de coordination des musulmans turcs de France obtient 2 sièges.

Première constatation, l’islam militant de France d’obédience marocaine est important par son implantation, ses vecteurs de diffusion, par la discipline de ses adhérents et leur attachement à leur pays d’origine.. Explication : si ces résultats confirment que les Français et résidents d’origine marocaine sont, certes, parmi les plus pratiquants des musulmans de France, ils démontrent surtout qu’ils ont une implantation associative homogène sur l’ensemble du territoire français. De plus, et selon le ministère de l’Intérieur français, 40 % des imams de France viennent du Maroc. Par ailleurs, la FNMF bénéficie largement du soutien des représentations consulaires en France qui n’ont pas hésité à faire sa promotion. Les Marocains sont aussi les plus disciplinés : par le biais de ces représentations diplomatiques, « le réflexe national » a été largement suivi et le vote des Marocains résidents en France a été massif. L’UOIF, cette organisation, largement décriée, vit officiellement en dehors de tout clivage national. Elle est parvenue, par son score honorable de 16 sièges, à séduire tous les musulmans qui sortent du clivage Maroc-Algérie. Œuvrant pour un islam proche de l’idéologie fondamentaliste internationale des Frères Musulmans, sa force réside dans sa capacité à fédérer les énergies locales. C’est au petit jeu des alliances que ce PJD de France s’est montré le plus efficace, lui permettant ainsi de réaliser des scores impressionnants en particulier dans la région parisienne. Statutairement le Conseil du culte musulman s’est pourvu de plusieurs commissions qui seront chargées de traiter de tous les éléments ayant trait à la vie quotidienne des musulmans de France. Certaines sont plus prestigieuses, plus importantes ou plus rémunératrices que d’autres. Le 1er juillet 2003, la FNMF obtiendra la présidence des commissions en charge des imams, de la viande halal (la taxe rapporte près de 80 millions d’euros chaque année), l’enseignement et les affaires juridiques. Seule la commission « audiovisuelle » (l’émission religieuse diffusée sur la chaîne du service public français France 2 tous les dimanches à 7h30), sera confiée à la Mosquée de Paris. L’UOIF prendra en charge l’aumônerie, c’est-à-dire le contrôle du discours religieux dans les prisons de France. En somme, toutes les activités génératrices de revenus sont confiées au camp marocain, l’association la plus radicale obtient (et ce n’est pas un mince avantage) d’islamiser les prisons françaises et l’Algérie d’amadouer les élites par le biais de la télévision. Avec ces « charges » rémunératrices, l’islam français est contrôlé de fait par les Marocains. Mais cette option de prime abord modérée, est en-train de s’avérer fausse pour le gouvernement français. Les deuxième et troisième générations d’origine marocaine sont très loin de l’islam populaire de leurs parents et la FNMF n’a pas su préparer une image attractive d’un islam officiel marocain moins « agressif ». Face à Tariq Ramadan et aux tablighistes largement implantés dans la communauté, « l’islam politique » des dirigeants de la FNMF n’a pas fait long feu.

Le Journal Hebdo

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : France - Religion - Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) - Immigration - Tariq Ramadan

Ces articles devraient vous intéresser :

Aid Al Fitr au Maroc : mercredi ou jeudi ?

Les calculs astronomiques prévoient la célébration de l’Aïd Al fitr au Maroc le mercredi 10 avril 2024, comme de nombreux pays arabes et européens, mais l’observation de la lune reste pour l’instant l’option privilégiée par les autorités religieuses...

MRE : Du changement pour l’opération Marhaba 2024

Contrairement aux années antérieures, l’opération Marhaba marquant le retour des Marocains résidant à l’étranger (MRE) au Maroc va démarrer deux jours avant la date habituelle. La coïncidence avec l’Aïd al-Adha oblige.

Aïd al Adha au Maroc : l’appel à l’annulation monte sur les réseaux sociaux

Alors que certains Marocains appellent à l’annulation de la célébration de l’Aïd al-Adha sur les réseaux sociaux, d’autres tiennent au respect de cette tradition religieuse.

Zakat Al Fitr : voici le montant à payer en France

Le Conseil Français du culte Musulman (CFCM) vient d’annoncer la date du début du ramadan en France, qui commence le 10 mars 2024. Il vient également de donner le montant de la Zakat Al Fitr que devront payer les musulmans en France.

Ramadan et grossesse : jeûner ou pas, la question se pose

Faut-il jeûner pendant le Ramadan quand on est enceinte ? Cette question taraude l’esprit de nombreuses femmes enceintes à l’approche du mois sacré. Témoignages et éclairages pour mieux appréhender cette question à la fois religieuse et médicale.

Le Conseil d’État annule un arrêté anti-burkini

La ville de Mandelieu-la-Napoule, dans le sud-est de la France, a vu son arrêté interdisant le port du burkini sur ses plages suspendu par le Conseil d’État. Cet arrêté, réitéré chaque année depuis 2012, avait été contesté en justice par la Ligue des...

Le Magazine Marianne censuré au Maroc

L’hebdomadaire français Marianne (numéro 1407) a été interdit de distribution au Maroc, en raison d’un dessin caricatural jugé offensant pour le prophète Mohammad.

Voici la date de l’Aïd el-Fitr en France

Débuté le 23 mars 2023, le mois du ramadan touche progressivement à sa fin. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a annoncé vendredi 14 avril la date de l’Aïd al-Fitr marquant la fin de la période de jeûne.

Le ramadan débutera jeudi en France

Le ramadan débutera officiellement le jeudi 23 mars en France, annonce le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz.

Ramadan 2023 : le Maroc va envoyer 400 prédicateurs à l’étranger, surtout en Europe

Interpelé sur « l’encadrement religieux des MRE », le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, a déclaré que le gouvernement a pris ses dispositions pour que durant le mois de ramadan, cette opération ait finalement lieu après...