France : Le Maghreb face au débat sur la laïcité

26 août 2003 - 21h56 - France - Ecrit par :

La pression sur les Musulmans de France, la plus imminente, émane du camp des laïcs. Il est entendu que le prosélytisme, quel qu’il soit, est à combattre résolument dès lors qu’il contrevient aux règles de la vie en société. Il va de soi que le port du voile contribuera immanquablement à laisser en rade de la société une population déjà isolée dans ces ghettos de fait qu’est la « zone ».

Mais outre la stigmatisation incontournable des musulmans sans distinction qu’induira le débat sur la laïcité, c’est en face de celle-ci dans sa version extrémiste que nous avons des chances de nous retrouver.

Le président français a installé jeudi 3 juillet la commission sur « la laïcité dans la République » avec pour mission d’initier un vaste débat public sur la question. Il débouchera fort probablement sur l’interdiction sans équivoque du port du « voile islamique » dans l’enceinte des établissements scolaires. S’exprime ainsi pour un pays qui se considère comme le creuset de la laïcité, le besoin de se pencher de nouveau sur la définition d’une conception fondatrice de l’État. Pour Bernard Stasi, médiateur de la République et président de la commission, l’examen de la question qui promet un chaud débat ne se limitera pas à la situation de l’école mais s’étendra à « la place de la laïcité dans tous les [espaces> où s’exprime la République : le monde du travail, les services et les lieux publics... »

La polémique autour de la référence judéo-chrétienne, qui a accompagné l’élaboration du projet de la Convention pour une constitution européenne, explique en partie ce regain d’intérêt pour la place de la laïcité. Même si la formule retenue dans le préambule du projet se contente d’insister sur la source d’inspiration que constituent pour les Européens les « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe », la remontée du fait religieux ne laisse pas d’inquiéter la grande armée des laïcs du vieux continent. Mais c’est essentiellement, si ce n’est exclusivement, l’Islam, les Musulmans et pour tout dire les Maghrébins que cible le débat en cours. Autant dire que d’ici, aucun de nous ne sera insensible ou indifférent à ce qui va se passer au cours des prochains mois en France. Doublement.

L’influence des mouvements de pensée français sur le Maroc, ou du moins sur ses élites, ne manquera pas de se traduire à nouveau par la conversion en monnaie locale des spasmes intellectuels que vivront les cercles parisiens à cette occasion. L’insistance avec laquelle se pose dans des bulles du microcosme, notamment depuis les événements du 16 mai, la question de la séparation du fait religieux de la chose politique et publique trouvera une incitation nouvelle dans le débat sur lequel Jacques Chirac vient d’engager la France. Si le sujet est à l’ordre du jour, fut-il à un niveau groupusculaire, il faudra probablement d’ores et déjà penser à le cadrer pour lui éviter le choc frontal avec tout ce que le Maroc compte de conservateurs. Mais c’est un autre débat.

L’urgence de la concentration marocaine et au-delà maghrébine sur la fébrilité intellectuelle dont la France va être le théâtre, puise ses raisons ailleurs. Le risque est en effet réel pour que nos compatriotes et coreligionnaires pâtissent de plus en plus d’une double tension. Celle d’abord que produit dans leur vécu quotidien la renaissance du religieux chrétien. Sa plus infâme expression se retrouve dans le livre d’Oriana Fallaci, "La rage et l’orgueil", sur l’homme arabe. Sa menace concrète se niche, elle, dans le propos du président du conseil italien, Silvio Berlusconi, lorsqu’il avait évoqué la supériorité de la civilisation occidentale sur la musulmane avant de se confondre en justifications comme à son habitude.

Même fondé actuellement, le postulat révèle le mépris dans lequel nous sommes tenus et depuis les camps de concentration nazis personne ne peut prétendre ignorer sur quelle horreur sont susceptibles de déboucher, poussées à l’extrême, les théories de supériorité.

La seconde pression, la plus imminente, émane du camp des laïcs, le plus démocrate en principe, le plus humaniste en général, le moins irrespectueux de l’homme et de ses droits en tous les cas. Il est entendu que le prosélytisme, quel qu’il soit, est à combattre résolument dès lors qu’il contrevient aux règles de la vie en société. Il va de soi aussi que dans l’environnement européen, le port du voile est de nature à gêner cette intégration qui tarde déjà à se produire. Il contribuera immanquablement à laisser en rade de la société une population déjà isolée dans ces ghettos de fait qu’est la « zone ». Mais outre la stigmatisation incontournable des musulmans sans distinction qu’induira le débat sur la laïcité, c’est en face de celle-ci dans sa version extrémiste que nous avons des chances de nous retrouver.

Pour réduire le risque à son minimum, l’ensemble des intervenants dans le débat devront garder à l’esprit que le respect de la diversité est précisément l’un des fondamentaux de la laïcité. Le libre examen en est un autre. IL a pour noble tâche de « se préoccuper du renouvellement méthodique des idées ». De ce fait il « répugne à leur conservation obligatoire. » En toute logique, il devrait lui déplaire tout autant, pour préserver sa propre cohérence, de dicter, fut-ce par la loi, surtout par la loi, leur abandon. Voltaire, grand penseur en même temps qu’infatigable militant de la laÏcité, affirme non sans raison « [qu’>ordonner de croire est absurde ». Probablement autant qu’intimer l’ordre de ne pas croire devrait l’être. C’est en vertu de cette perception des choses que la République a su concéder à la chrétienté une école privée à côté de l’enseignement public. Et c’est encore en conformité avec cette approche qu’elle devrait en principe trouver en elle-même la tolérance suffisante pour ne pas blesser inutilement dans sa foi l’Islam de France et du Maghreb.

Ce n’est guère un secret que la barbe exprime dans de nombreux cas une religiosité agressive. Chez la femme, le voile est susceptible de cacher une contrainte patriarcale misogyne. Mais la plupart du temps le foulard comme la barbe sont le produit d’un choix fait en toute liberté de conscience. Au même titre que la laïcité, qui a ses propres signes extérieurs, ils traduisent une conviction assumée.

Sans doute, la frontière est parfois si tenue entre l’expression d’une piété apaisante dans un environnement hostile, et l’affichage d’une conviction religieuse activiste quand elle n’est pas tout simplement subversive qu’il est par moments difficile de les distinguer. Toute l’habileté sera, donc, de savoir comment éviter les amalgames inéluctables si la part des choses n’est pas faite. Naturellement les leviers du débat nous échappent, mais il est du devoir des gouvernements maghrébins d’agir afin d’en éviter les dérives.

Naïm Kamal pour lobservateur.ma

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