Un mariage célébré au Maroc a connu un dénouement inattendu et triste. Le marié a prononcé le divorce le soir même des noces, suite au refus de sa jeune épouse de revêtir la traditionnelle tenue amazighe.
Peut-on être amazighiste et amazighicide (ou auto-amazighophage) en même temps ? Oui. L’expérience peut rester dans l’histoire du Maroc moderne comme un test parfait, conjuguant l’habilité des magiciens à l’astuce des politiciens pour faire d’un soulier une palombe et d’un désert un grand pays. Cette histoire interminable se passe entre le treize août et le premier septembre.
Seulement, là, il faut y lire d’autres histoires et d’autres récits connus ou méconnus de l’être nord-africain, allant dans le même cours inscrit dans le temps et l’espace amazighs, découlant constamment à l’infini.
Parlons très sérieusement. Il n’y a pas de chose plus horrible que de lapider les siens, de s’échancrer âme et corps dans des dimensions incongrues, de se desquamer pour vendre sa propre peau, pas la sienne mais celle des aïeux. Il n’y a pas de chose plus grave que de mener une expérience sur soi pour parfaire le projet d’euthanasie collective (entreprise par les amazighophages). Il n’y a pas d’acte tragique que de crier la vie sous l’éclat d’un sabre qui vous éventre...
C’est bien l’expérience de la BMCE avec la langue et la culture amazighes, orchestrée par les Imazighen, menée sur des Imazighen et conçue par un amazighicide.
Qu’est-il de cette expérience ? Au début, l’on nourrit des idées, l’on développe des thèses, l’on conçoit des modèles pour faire de cette parole aérée quelque chose de fixe devant le regard d’un élève qui se retrouve enfin dans des symboles, les siens évidemment. Plus de distance avec la science et la connaissance. Amour direct et fidèle. Et des théories, des concepts, des discussions et des dialectiques animent les classes dans un isthme appelé Bokana entre deux mers, l’une vaste et malmenée par un flux et reflux incessant, et l’autre immobile et menacée par les siroccos. Union nécessaire, l’une ne peut prétendre à l’existence sans l’autre. C’est bien cela la situation de tamazight elle-même, tiraillée entre un ministère de l’éducation qui de l’« istinass » en fait une politique de destruction et une BMCE qui par ses a priori bien combinés avec l’Etat conçoit la première... Cette fois c’est le glas qui est bien ficelé : l’amazighité est très étroite, réduite à mourir entre deux rives sauvages : les ’faux’ siens et les autres...
Le grand souci, depuis le commencement de la formation, demeure la graphie, le vêtement à mettre sur ce corps dit tamazight nu et délaissé depuis bien des siècles. A tout moment, obnubilé par l’agonie de ma mère dans une chambre d’hôpital elle qui ne cesse de me répéter : « Min teggim ass-a ? » quand les douleurs et les maux l’abandonnent momentanément, je ne cesse de rêver à une issue d’avenir pour tamazight, et d’entendre les paroles de Nietzsche qui rendaient dans mon âme de l’espoir : « L’importance du langage pour le développement de la civilisation réside en ce qu’en lui l’homme a placé un monde propre à côté de l’autre, position qu’il jugeait assez solide pour soulever de là le reste du monde sur ses gonds et se faire le maître du monde. » ( Humain trop humain, 1878, p.25). Il faut faire alors un bon placement pour nous du moment que l’occasion se présente, un meilleur placement pour notre langue, culture et être. Ce propos était la chose souhaitée par l’équipe des cinq professeurs.
Mieux encore... Et presque tous les professeurs placent dans la graphie universelle tous les espoirs.
Le soir du 24 août, dans la salle de réanimation, à neuf heures ma mère s’en va loin, très loin de ce bled qui ne l’a jamais reconnue en tant qu’être normal et normalisé, et à huit heures dans le restaurant de l’hôtel, la discussion se termine par l’accord unanime du groupe à proposer la graphie universelle pour vêtir le cadavre de tamazight afin de le réanimer positivement.
Les jours suivants, les murs viennent tous à bas pour recouvrir complètement le corps amazigh inerte, maintenant devenu communément universel, acceptable... Tout allait bon train : les stagiaires, au départ peu sensibles à la question amazigh, se métamorphosent à la fin en de fins scientifiques et militants.
Le jour de la clôture, le premier septembre, l’on attend l’arrivée de l’artisan de l’« istinass », du président de la banque, d’un universitaire français et d’autres personnalités. Changement de dernière minute, l’artisan n’arrive pas. Trop d’occupations pour se libérer pour une futile chose... Lors des leçons-modèles, quelques étudiants présentent les travaux en se basant sur deux graphies : l’araméen et l’universel. Préoccupation sur les visages des présents...
Succès des leçons !
Immédiatement après, réunion du corps enseignant avec les responsables. La question posée, d’ailleurs la seule, par le biais de quelle graphie allons-nous écrire tamazight ? Transcrire ce cadavre. Un enseignant défend l’option universelle par l’existence de manuels en latin, et avance l’absence totale de manuels en graphie arabe. Et un parlementaire fort cornu par ses idées d’ouverture et de nouvelle génération et de démocratie parle d’option politique en adoptant les caractères arabes.
Ensuite, j’enchaîne longuement pour défendre les caractères universels.
La réaction du président s’avère immédiate et concise :
• « Je suis complètement d’accord avec vous, jeune homme ! »
D’accord. D’accord. D’accord. Je lis autre chose. Je lis le désaccord et la méfiance dans son regard mouillé.
Je découvre le malheur final sous forme d’un projet simple et pratique où tamazight sert de cobaye. Les diktats sont nombreux et bien tressés, les mesures connues et les rats bien nombreux.
Le projet de la BMCE est, donc, un échantillon précis qui va être suivi (généralisé) par le ministère de l’éducation. L’expérience sonde les petits barbares pour connaître de près leurs réactions, leur prédisposition, leurs pensées, leurs points de vue sur le sacrifice civilisé et institutionnalisé de tamazight en respectant le scénario suivant :
Durée : 4 années
Lieu d’application : Rif, Atlas, Souss
Organisation : -2 ans en maternelle (pour enfants de 4 à 6) ;- 2 ans en fondamentale (1ère et 2ème années).
Acteurs : Imazighen amazighophones (4 à 8 ans)
Plan d’exécution : Pas d’horaire fixe pour le dialecte ; Pas de leçon proprement dite ; Parler en tamazight, écrire en caractères arabes (sorte d’exercice de dictée sensée) ; Narrer des contes en tamazight pour les arabiser...
Les maîtres, parfaits chefs d’orchestre, parlent en tamazight pour bien expliquer l’arabe. Par conséquent, ils incitent les enfants à aimer tout d’abord la graphie araméenne en l’appliquant sur leur langue maternelle, ensuite les connaître... pour en écrire l’arabe classique... à l’âge de huit ans. Où sont-elles passées les propositions (langage, lecture, expression, dictée, copie, écriture, littérature, grammaire et récitation) pour apprendre tamazight ? Non, ce sont des propositions à contenu classique, noble et universellement reconnu...
Objectifs : - Apprentissage approprié de l’arabe ; -Cultiver l’enfant arabiquement ; - Union arabe du Maghreb. (pas l’union du Maghreb arabe !) ; -Enfant marocain sain(t).
Finalement, je ne peux pas me risquer à dresser la liste des objectifs. Y en a trop ! Et de très dangereux...
Bref, pour qui sonne le glas dans tout ce projet ? Ernest Hemingway aurait pu dire pour les pauvres petits Imazighen....
H. Banhakeia
Ces articles devraient vous intéresser :